Loin des shows spectaculaires, cette méthode ne présente guère de risques pour le patient et peut apporter des réponses à de nombreuses affections.
"Aie confiance, crois en moi". Lorsque le python Kaa dans Le Livre de la jungle ensorcelle Mowgli grâce à ses yeux, l'hypnose rime avec manipulation et danger. Entourée de mystère et de questions, cette pratique apparaît comme une alternative pour soigner des maux comme l'anxiété, les troubles du sommeil ou encore les phobies. En cette période troublée par l'épidémie de Covid-19 qui a bousculé notre quotidien, la détresse psychologique augmente. Et pour faire face à la crise et à ses effets sur la santé mentale, l'hypnose médicale peut être une arme efficace.
C'est au XVIIIe siècle qu'un médecin autrichien "invente et découvre une méthode thérapeutique intitulée 'magnétisme animal'", retrace pour franceinfo Jean-Marc Benhaiem, médecin et fondateur à Paris du centre de soins Hypnosis, spécialisé dans les applications médicales de l'hypnose. Son nom ? Franz-Anton... Mesmer. Oui, comme Messmer, avec deux "s", nom de scène de l'artiste québécois Eric Normandin, qui s'adonne à l'hypnose devant un public. De l'hypnose, certes, "mais plus directive, plus autoritaire, qui fait appel à des manifestations motrices pour le spectacle", analyse Julie Mayon-Morvan, psychologue clinicienne pratiquant l'hypnose et directrice pédagogique et scientifique de l'Institut français d'hypnose (IFH) à Paris.
Loin du cliché de la poule en public On est loin de l'hypnose médicale qui repose, elle, sur le travail du psychiatre américain Milton Erickson, à l'origine de "l'approche utilisationnelle". "Plutôt que d'appliquer un protocole déjà écrit, la séance d'hypnose sera basée sur la connaissance du patient, sa personnalité, sa vision du monde. C'est au thérapeute de s'adapter. Il s'agit d'une technique permissive, basée sur l'usage des suggestions indirectes, plus douces", détaille Julie Mayon-Morvan, qui y voit "une discipline complémentaire à un métier de soin". Et elle ne se réduit pas à faire la poule en public. En réalité, explique la directrice de l'IFH, l'hypnose est un "état naturel propre à l'être humain, comme l'état de conscience – celui dans lequel vous êtes la plupart du temps – et l'état de sommeil. On parle aussi d'état de conscience modifié." Sachez que vous l'expérimentez plusieurs fois par jour, sans l'intervention d'un praticien, par exemple quand vous conduisez ou courez. "Il y a un moment où vous allez être dans vos pensées tout en continuant à courir. Vous allez être absorbé pendant plusieurs minutes, détaille Julie Mayon-Morvan. Vous ne vous êtes pas senti glisser, mais vous vous sentez revenir."
"Pas de technique standard" Dès lors, pourquoi, et quand, avoir recours à un spécialiste ? Selon ceux que nous avons interrogés, la pratique de l'hypnose peut être recommandée pour bon nombre d'affections : douleurs, angoisse, anxiété, phobie, asthme, allergies, troubles du sommeil... La liste est longue. Et vous n'êtes pas obligé d'être convaincu. "Y croire ou pas ne change rien, tranche Max Fleury, médecin généraliste et hypnothérapeute invité par France Bleu ; 100% des gens peuvent être hypnotisés mais la réponse à la suggestion ne va pas être homogène, on se sait pas comment le subconscient de la personne va réagir". "Tout le monde est sensible à la musique, mais chacun son style. C'est la même chose pour l'hypnose", image Clément Smolinski, hypnothérapeute à Toulouse (Haute-Garonne).
"Il n'y a pas une technique standard pour tout le monde", renchérit Julie Mayon-Morvan. Pour trouver "la bonne porte d'entrée", il faut un temps d'échange pour mieux comprendre le patient. Une fois la confiance installée, la séance d'hypnose à proprement parler peut commencer. "Une séance s'adapte forcément à la personne que l'on reçoit, à ses croyances et ses besoins, explique Julie Mayon-Morvan. Si elle se montre réticente ou sceptique, je prendrai le temps de lui expliquer quelques fondements scientifiques, de la rencontrer véritablement et lui proposerai un temps de concentration hypnotique au cours duquel elle gardera la main tout en découvrant l'état de transe en toute sécurité." "Il faut arrêter de croire que l'hypnose est un moyen de prendre le contrôle sur quelqu'un. C'est un outil proposé au patient afin qu'il puisse résoudre ses problèmes lui-même." Caroline Chemin-Fronteau, psychologue clinicienne à franceinfo.
Pour permettre à un patient d'entrer en hypnose, le thérapeute utilise le ton de sa voix et module son rythme. Il peut aussi proposer de fixer un point dans la pièce, "une cible sur laquelle focaliser son attention". Ensuite, le praticien invite à se détendre, à fermer les yeux et à entrer dans la phase de travail en utilisant des "suggestions permissives". "C'est par exemple préférer dire 'Vous pouvez laisser vos paupières se fermer, à leur propre rythme, maintenant, ou dans quelques instants', plutôt que 'Maintenant fermez les yeux'", détaille Julie Mayon-Morvan, de l'IFH.
Difficile néanmoins de prévoir ce qui va se passer. "Une séance reste très individualisée, soutient-elle. Je m'appuie sur les ressources disponibles de mon patient, ses passions, et explore ce qui justement 'va bien' chez lui." "Le patient peut être assis, debout, allongé, les yeux fermés, ouverts, ajoute Caroline Chemin-Fronteau. L'important est de se mettre à son niveau, de s'adapter à lui avec bienveillance et humanité." Durant la séance, le thérapeute va observer l'installation de l'état de transe sur son patient : les traits du visage se détendent, la respiration devient plus lente, plus profonde, les yeux peuvent se fermer. "Le patient peut être isolé sensoriellement, ne plus entendre les bruits autour de lui", précise Julie Mayon-Morvan. Une autre façon de "voir les choses" Cet état d'hypnose "va se traduire chez la personne par des perceptions qui vont se modifier : sa perception d'elle-même, de l'environnement... On va se servir de cet état pour la traiter", indique Max Fleury. "C'est l'art de la suggestion, synthétise encore Clément Smolinski. Grâce à des outils de communication, on fait passer des idées et on propose une certaine manière de voir les choses."
Les effets d'une séance, dont la durée peut varier de quelques minutes en service d'urgence à plusieurs heures, peuvent être saisissants à en croire les spécialistes. "Il est possible de ne plus ressentir la douleur, assure Julie Mayon-Morvan. Le signal de celle-ci est contrecarré par l'hypnose et on peut obtenir des effets qui sont aussi probants que des antalgiques de palier 3, tels que la morphine." Si une personne souffre d'une douleur dont elle veut se débarasser, le thérapeute va en effet agir "sur la fixation prolongée qui crée la douleur", explique Jean-Marc Benhaiem, médecin formé à l'hypnose.
"Finalement, ce que l'on soigne à chaque fois c'est l'immobilisation, la sidération, la focalisation ou l'obsession. L'hypnose est une expérience relationnelle mettant en jeu des mécanismes physiologiques et psychologiques permettant à l'individu de mieux vivre, d'atténuer ou de supprimer une pathologie aiguë ou chronique", poursuit le fondateur d'Hypnosis, un centre de soins spécialisé dans les applications médicales de l'hypnose. "Ce n'est pas une maladie ou un organe que l'on soigne, mais le terrain composé de tout l'être en relation avec ses croyances, ses sensations... En résumé, tout son espace intérieur et extérieur. Modifier le contexte peut faire disparaître le problème." Jean-Marc Benhaim, médecin à Paris à franceinfo Par les temps qui courent, les souffrances à traiter sont plus psychiques que physiques. "C'est une période qui est révélatrice : elle nous prive de nos loisirs, de nos contacts, détaille Julie Mayon-Morvan, qui a vu arriver davantage de nouveaux patients depuis le début de la crise du Covid-19. En temps normal, les stratégies d'adaptation les maintiennent à l'équilibre ; face à la situation sanitaire, les défenses s'estompent et les fragilités s'expriment." Réussir à bien choisir son praticien
Avec des résultats confirmés par une étude de l'Inserm – qui affirme qu'il existe "suffisamment d'éléments pour pouvoir affirmer que l'hypnose a un intérêt thérapeutique potentiel" – la pratique de l'hypnose médicale est revenue en force ces dernières années. Au point que certains y voient une opportunité pour démarrer une nouvelle carrière. En effet, nul besoin d'un diplôme d'Etat pour pratiquer l'hypnothérapie. Après une formation, chacun peut apposer sa plaque sur la porte de son cabinet. "Cette discipline n'est pas réglementée par l'Etat, indique Julie Mayon-Morvan. Certains centres forment toute personne désireuse de faire de l'hypnose, sans métier préalable ni bases requises en psychologie clinique ou en médecine."
Pour éviter les mauvaises surprises, Caroline Chemin-Fronteau déconseille de se rendre chez un hypnothérapeute qui n'est pas psychologue, médecin-psychiatre ou médecin. "Si je croisais la personne que j'étais il y a dix ans, je dirais effectivement que je n'ai rien à faire là, lâche Clément Smolinski, hypnothérapeute depuis dix ans. Aujourd'hui je me sens légitime, ça fait une décennie que je travaille et continue de me former". Afin d'aider les patients à choisir au mieux, l'Institut français d'hypnose met à disposition un annuaire des professionnels de santé formés à l'hypnose. Et si le résultat dépend bien sûr "de la formation, du sérieux et du talent du praticien", il est aussi le fait de la relation entre le patient et son thérapeute : "Il faut que le patient ait conscience que c'est une collaboration. Le résultat en dépendra", insiste Julie Mayon-Morvan.
Attention aussi à son état mental, avant de prendre rendez-vous. Pour la directrice, "la pratique de l'hypnose peut s'avérer délétère lorsqu'elle n'est pas cadrée, notamment dans le domaine de la santé mentale". En cas de troubles paranoïaques ou de schizophrénie avérée, mieux vaut passer par un psychiatre formé à la pratique de l'hypnose, qui saura s'adapter à la problématique. "Hormis cette restriction, il n'y a pas d'effets délétères, ni d'effets négatifs, conclut-elle, il suffit de trouver le bon thérapeute". Vous pourrez ensuite vous y plonger, les yeux fermés.
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